dimanche 1 février 2009

Toucher le fond

Lors des retours de la nouvelle du mois de Janvier, j'ai eu un défi pour une prochaine nouvelle. Je ne vais pas le révéler sinon ça enlèverait sûrement un truc de la nouvelle qui va suivre. Quoiqu'il en soit, il a été en parti relever, enfin il m'est difficile de faire mieux pour le moment.

D'avance mes excuses pour les amateurs de bateau, il y a, peut être, quelques erreurs. Il y a des années que je n'ai pas refait de bateau, hélas, et j'ai oublié pas mal des noms employés.

Quoiqu'il en soit, bonne lecture à vous.

L'eau est calme aujourd'hui, tout comme le temps. Comme le saumon qui passe sa vie à remonter la rivière pour finir par mourir, les vagues viennent s'échouer, au loin, sur la plage de galets. Parfois, elles butent contre la falaise, mais la journée est si clémente que c'est à peine si on les entend se dérouler comme pour mieux rencontrer la craie, la façonnant vague après vague. Le vent n'est que murmure, il n'y a quasiment pas de ce petit son si caractéristique, le long des falaises, celui produit par le vent tourbillonnant qui pourrait s'apparenter à un doux chant mélancolique.

Oui, aujourd'hui, tout est vraiment paisible sur cette mer. Pourtant, quand Camille la regarde, l'hume, ce n'était pas une eau trouble qu'elle voit, et encore moins l'iode qu'elle sent. Elle ne fait même pas attention aux embruns qui ruissèlent sur son visage. A une autre époque, qui semble être dans une autre vie, elle aurait apprécié ce moment, elle en a parfaitement conscience.

Elle sait ce qu'elle doit faire, cela fait des jours qu'elle a tout préparé, méticuleusement. Elle s'avance lentement vers la poupe du bateau, s'efforçant de laisser ses souvenirs loin dans sa mémoire. "Toucher le fond." se dit-elle "Retrouver le calme, pourquoi n'y aurais-je pas le droit ? Qu'ils aillent au diable avec tous leurs conseils bien pensant ! Comment pourraient-ils savoir ce que je ressens réellement ? Comment pourraient-ils comprendre que je veux que tout s'arrête, totalement ?"

Camille serre un moment les poings, maudissant toujours plus ces conseillers de pacotilles, ceux qui ne parlent que "pour son bien". Elle inspire profondément en relevant la tête, son regard vers la plage. Elle n'était pas partie très loin, juste assez pour pouvoir mouiller son voilier, pour que les falaises ne causent un problème. Son père l'avait emmenée tant de fois, pendant son enfance, lui apprenant à aimer et à respecter la mer, lui racontant les légendes, les histoires de marin, la traditionnelle "dame blanche", il y a toujours une dame blanche ... Non, il ne fallait pas laisser travailler sa mémoire, c'est cette mémoire qui la blesse depuis tant d'années, ou du moins qui prolonge la blessure.

Secouant la tête, elle vérifia son voilier une dernière fois : le génois est correctement replié, ainsi que la grand-voile, la dérive est bien en place, et chaque corde est bien attachée, aucune ne traine. Il est temps maintenant. Camille s'installe sur le bastingage tribord, son matériel est lourd, mais il est plus que nécessaire si elle veut aller jusqu'au bout.

Dos à la mer, elle se laisse tomber en arrière. La mer la happe et pourtant, il n'y a aucune violence, plus comme une ancienne amante qui l'étreint fortement, l'attire vers elle, mais avec une infinie tendresse. Tout est si paisible, si calme. A mesure que Camille s'enfonce dans la mer, elle voit la clarté du monde extérieur s'assombrir. Comment a-t-elle pu vouloir rejeter tout cela ?

Cette question n'est évidemment que rhétorique, Camille savait pourquoi elle n'avait plus jamais remis, ne serait-ce qu'un orteil, dans l'eau. Cela remontait à 6 ans, 5 mois et 14 jours. Si on le lui demandait, elle serait même capable de dire les heures et les minutes.

Ce jour là, le temps rendait la navigation impraticable, et Camille avait grand envie de nager. La mer était comme un second monde pour elle, mais quand cet autre monde ne lui permettait pas de le revoir, elle lui faisait une petite infidélité à la piscine. Évidemment, l'odeur du chlore ne lui plaisait pas, pas plus que tous ces gens agglutinés dans l'eau sans même en apprécier toute sa puissance en même temps que son calme. En même temps, comment le leur reprocher si tout ce qu'ils connaissaient de l'eau était ce rectangle chlorique. Quoiqu'il en soit, son envie de s'enfoncer dans l'eau étant trop forte, Camille avait laissé de côté ses préjugés.

Le début à la piscine avait déjà mal commencé, une sortie scolaire. En tout cas, tout portait à croire qu’absolument toute la marmaille environnante s’était donné rendez vous ce jour là en ce lieu. Les accompagnateurs gueulaient dans tous les sens, les maitres nageurs ne savaient plus où donner de la tête. Heureusement, tout de même, pour Camille, la plupart des gamins étaient assignés au petit bassin, le grand ne correspondant pas vraiment aux critères de sécurité, ou alors, était-ce simplement qu'il était plus simple de tous les amasser dans un périmètre plus réduit.

Camille tenta de se détendre en plongeant et en restant sous l'eau. Le chlore piquait les yeux, et il n'y avait rien à voir dans le fond de la piscine, mais au moins, le bruit s'éteignait. C'est là qu'elle l'aperçut la première fois, enfin surtout des jambes et un maillot de bain noir, masculin. Elle n'y prêta pas attention de suite, après tout, c'était une paire de jambe parmi tant d'autre. Quand elle sortit la tête de l’eau, inhalant une grande bouffée d'air, elle vit le propriétaire des jambes : brun, une barbe de trois jours, des petits yeux perçants, braqués sur elle.

Elle était habituée à être observée par des hommes. Elle savait qu'elle n'était pas un "canon de beauté" mais tout de même, elle ne laissait que très rarement les hommes indifférents. Néanmoins, sans savoir pourquoi, cet homme la mettait mal à l'aise. Peut être était-ce dû à l'insistance de son regard, ou le fait de voir toujours ce même regard braqué sur elle à chaque fois qu'elle sortait la tête de l'eau.

Après plusieurs descentes et remontés, ce regard sombre toujours braqué sur elle, Camille n'y tint plus et préféra quitter le bassin et se dirigea vers les douches. Du coin de l'œil, elle le vit sortir à son tour de l'eau et la suivre, c'est qu'il devenait insistant, enfin, au pire, il y avait trois maitres nageurs non loin, elle pourrait toujours leur expliquer la présence désagréable de cet homme.

Elle prit sa douche le plus rapidement possible, elle voulait quitter cet endroit et cette appréhension qui ne la quittait pas. Elle sentait qu'il était toujours en train de la regarder, et bien qu'elle porte son maillot de bain, elle avait la très désagréable impression d'être nue. Elle ramassa sa serviette, s'essuya rapidement avant de récupérer ses affaires et se précipita vers l'une des cabines individuelles pour se changer.

C'est à ce moment précis que tout bascula : alors qu'elle s'apprêtait à fermer le loquet de la cabine, la porte s'ouvrit violemment, la repoussant en arrière. Elle eût l'impression que dans la même seconde, la porte fût bloquée par le loquet et qu'une main vint se plaquer sur sa bouche, l'étouffant à moitié et l'empêchant de crier à l'aide. C'était lui, le même que dans la piscine ou sous la douche, qui cela pouvait bien être d'autre ? Pendant presque 6 ans, 5 mois et 14 jours, elle se demandera pourquoi elle n'avait pas eu la présence d'esprit de suivre son début d'idée : aller voir les maitres nageurs.

Elle tenta bien de se débattre, mais, il était bien trop fort pour elle, il tenait ferment l'un de ses bras derrière son dos, la douleur devenait insupportable. Il parla à peine, si ce n'est pour lui dire qu'une salope comme elle, aguichant les hommes à moitié à poil, devait un jour payer et recevoir ce qu'elle désirait. Qu'il allait lui en donner, elle allait voir. Dans un vain effort, et malgré la douleur de son bras, Camille tenta de se défendre, au moins pour pouvoir appeler du secours, mais encore une fois, elle n'avait pas la moindre chance d'avoir le dessus. Il frappa sa tête contre l'un des murs de la cabine et elle s'évanouit.

Quand elle se réveilla, elle était nue, son maillot de bain en lambeau à côté d'elle et lui ... lui abusait d'elle, marmonnant des paroles obscènes, sa main toujours sur sa bouche. Quand il eût fini, il la gratifia d'un regard haineux et lui conseilla de garder cela pour elle, sinon tout le monde saurait quel genre de salope elle était, qu'elle l'avait cherché. Il quitta la cabine, tranquillement, laissant une Camille tremblante, dévastée. Son esprit tentait de nier le témoignage de son corps.

Elle resta recroquevillée, sa serviette contre elle, pendant des heures, incapable de bouger. La porte n'était pas refermée complètement, mais suffisamment pour qu'on ne la remarque pas. Ce fût une femme de ménage, bien après la fermeture de la piscine, qui la trouve prostrée dans la cabine, toujours dans la même position que des heures auparavant.
Elle est incapable de savoir ce qu'il s'est réellement passé ensuite, l'hôpital où elle dût tenter d'expliquer ce qu'il s'était passé. La police où son histoire devait être à nouveau répétée dans les moindres détails, revenant parfois en arrière, à la demande du policier, pour être sûr que tout serait bien consigné dans le rapport. Puis, le pire sans doute, l'arrivée de ses parents, sa propre détresse se lisait dans leurs yeux, comme une empathie.

Ses mêmes parents qui, depuis, chaque jour se tenaient près d'elle, prêts à la soutenir si elle s'enfonçait, silencieux mais toujours présents. Des groupes de soutien, des psys tentèrent de lui donner des conseils, mais comment peut-on conseiller quelqu'un que l'on connaissait à peine ? Certes, certaines personnes avait vécu une expérience similaire, mais ce n'était que ça : "similaire". Elle n'arrivait pas à leur expliquer que cet homme n'avait pas seulement souillé son corps, et par extension son âme, mais qu'elle avait aussi l'impression que l'eau lui rappelait à chaque fois cette expérience ? Que ce qui lui avait toujours permis de se détendre n'était plus une option ?

L'homme fût retrouvé trois ans plus tard, alors qu'il tentait d'agresser une autre femme. N'étant pas arrivé à ses fins, et la police arrivant, il s'enfuit sans demander son reste, et sans faire attention où il allait. Sa course s'arrêta alors qu'il traversa la route et qu'une voiture le faucha, le cou brisé. Cette mort ne soulagea pas Camille, même si elle la rassurait : elle ne craignait plus de le croiser à détour d'un chemin. Il lui fallait garder ses questions pour elle, et surtout son "pourquoi ?". Elle n'aurait jamais la réponse, et cela n'avait en rien aidé, bien au contraire.

L'eau est en train de devenir de plus en plus sombre. Heureusement, la combinaison que porte Camille diminue la froideur environnante.

Cette partie de son histoire est aussi sombre que ce qu'elle voit, en ce moment, autour d'elle, mais comme les vagues, là, au dessus d'elle, qui vont pour s'échouer sur les galets, pour mieux revenir, plus fortes peut être, elle doit refaire surface, et vivre le temps présent. Sans y penser, elle vérifie que ses bouteilles contiennent suffisamment d'oxygène, déjà plus d'une heure qu'elle est allongée, ou presque, sur le fond de la mer. Elle regarde vers le haut, l'air libre. Oui, il fallait qu'elle se remette à vivre et, elle le sait maintenant, la mer l'aidera, comme sa pièce préférée, dans une maison, où on aime se réfugier. Des talons, elle touche le fond, qu'elle cogne pour mieux remonter. Pour la première fois depuis 6 ans, 5 mois et 14 jours, Camille sourit.

Edit 09 /02 : Correction des fautes et quelques maladresses qui trainaient par là. Merci Mirandar, tu vas finir par être mon correcteur officiel si tu continues comme ça.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Bien bien, minuit sonne et je suis venue directement découvrir la nouvelle de Février. Sans doute serai-je également la première à la commenter.
J'ai beaucoup aimé l'histoire de Camille et ai apprécié aussi le fait que si elle est sombre comme aux habitudes tenaces de l'auteur, elle se termine par l'espoir, et, ça, ça fait du bien ! :p
Le récit est bien ficelé, le début introduit l'histoire et amène le lecteur à se poser plein de questions dont il n'a réponse qu'au terme de sa lecture. Le déroulé embarque bien dans le récit et monte crescendo dans l'émotion.
Bravo Danae, ton style s'affirme et se paufine au fil des mois. Continue comme ça !

Anonyme a dit…

Il n'y a rien d'autres à rajouter sur le style ! J'ai également l'impression que le texte est plus léger, les phrases moins longues : que du bonheur !

ALG a dit…

Je partage l'avis qui me précède. C'est plus léger en style que les textes précédents. J'ai craint un instant que l'histoire soit lourde après avoir lu les premières lignes, mais ce que j'ai apprécié c'est la légèreté progressive, un peu comme la portance de l'eau qui est au coeur de l'histoire.

Ma préférée jusqu'à présent.

On est donc à 4 :D

Anonyme a dit…

Bien, j'ai enfin lu cette nouvelle et à vrai dire je suis plutôt déçu (ça changera :p). Rien à dire sur les commentaires précédents, le style est parfait, le texte aéré, tu as corrigé ta maniaquerie des phrases à tiroirs ^^, bref très à agréable à lire. Il y a une nette progression au fil de tes nouvelles. Et aussi j'apprécie grandement le titre à double sens.

Mais par contre l'histoire en elle même ne m'a pas emballé ni accroché plus que cela à la différence des précédents textes (l'égout et les couleuvres ...).

Bon en gros le commentaire est quand même positif finalement ^^

Danae a dit…

Comme le dit Mir, pour l'histoire en elle même, il est difficile de faire l'unanimité.

Je profite de ces commentaires pour remercier les personnes qui lisent ces nouvelles et qui soit laisse un commentaire soit me décrivent, en privé, ce qui peut aller, ou non, dans le style d'écriture. C'est grâce à ça que j'ai pu progresser et que, je l'espère, je vais continuer sur cette voie.

Miss Murder, on en est à 3, le prologue ne peut être compté comme une nouvelle :p Je ferai une note dans la semaine pour expliquer pourquoi tu fais cette précision.