jeudi 1 janvier 2009

Une personne en trop

Au début, j'avais pensé écrire un truc dans l'air du temps, genre un conte de noël, une de ces histoires pleines de bons sentiments qui fait chaud au coeur. Seulement voilà, cela n'entrait pas dans mon inspiration du moment.

Alors, ça sera un texte pas du tout dans l'air du temps, absolument pas gai et encore moins réchauffant tout le dedans. Un jour, je réussirai à écrire un truc un plus léger, si si, j'y crois très fort !

Bonne lecture aux quelques égarés sur ce blog.

On dit souvent qu'être issu d'une grande famille est une chance, que l'on a, alors, le bonheur de pouvoir trouver du réconfort auprès des liens. Ces liens du sang que rien ne sauraient contrer, tous unis face à l'adversité, quel qu'elle soit.

Si Hugues connaissait ce "on", il lui tordrait bien le cou. Il irait même jusqu'à l'éviscérer avec ses paroles de bons sentiments qu'il juge fadasses. Il lui montrerait sa famille, à lui, riche de 11 enfants, ses parents qui ne savent plus où donner de la tête pour gérer cette meute familiale. Et surtout, il se désignerait, lui Hugues, et sa place de 11 ème enfant, celui que les parents n'attendaient, ne voulaient pas, l'accident, le regret. Hélas pour tout le monde, mettre un terme à la grossesse de la mère féconde n'était pas possible, le principe de cette famille était contre. Ce n'était donc pas par choix que cet enfant serait mis au monde, mais par devoir, par obligation.

Il a passé toute son enfance à sentir qu'il était l'enfant de trop. Bien entendu, il était nourri, quand même, n'exagérons rien. Bien entendu, il avait de quoi s'habiller, enfin, du moins des vieux habits de ses aînés. Ce pull était à l'une de ses sœurs ? Peu importe, il était encore en état, une petite couture par ci par là à refaire, et cela fera l'affaire.

Mais en dehors de cet aspect primaire, Hugues comprit rapidement qu'il était préférable de rester dans son coin, seul, si tant est qu'il est possible de trouver ce genre d'endroit dans une maison où vivent autant de personnes. Combien de fois a-t-il entendu les regrets de sa mère de ne pas être tombée, alors qu'elle était enceinte de lui ? Elle aurait tant désiré une bonne vieille grosse chute, de celle qui lui aurait fait perdre ce sale gosse, ce bon à rien, même pas capable d'être utile dans la maison ! Hélas, elle n'avait pas pu le faire intentionnellement, ça aurait été péché, une interruption volontaire de grossesse, même indirectement, hors de question !

Quant à son père, il ne faisait pas attention à son aîné, alors pourquoi le ferait il avec le petit dernier ? Il trimait à longueur de journée au travail pour nourrir les siens, alors autant laisser ce travail à son épouse, que les tâches soient réparties équitablement, que diable !
Son réconfort à lui, c'était le PMU, avec ses potes de travail. Un ballon de vin, de franches rigolades bien viriles et des putes de temps en temps, voilà qui faisait tout le bonheur du père. Bien évidemment, tous les dimanches, il confessait tout cela, il ne faudrait pas qu'il soit un pêcheur quand même. Son âme était alors lavée et le vieux pouvait retourner, juste après la messe, au PMU, le prochain dimanche arrivera vite.

Si encore ses frères et soeurs avaient été présents pour lui, Hugues aurait pu faire l'impasse sur le manque de présence, d'affection, de ses parents, mais il avait 6 ans d'écart avec le 10ème de sa fratrie, quant au tout premier, n'en parlons pas. Pour tous, il était le morpion, le baveux, celui qui traine toujours dans les pattes.

Le premier jour de sa rentrée des classes, Hugues était tout excité. Il était sûr que là, avec des enfants de son âge, il allait pouvoir trouver une place. Voir même, il n'osait se le dire avec des mots de peur de lui porter le mauvais oeil, oui, peut être, se faire des amis. De tous les enfants, il était le seul à avoir un grand sourire, alors que les autres étaient apeurés, ou seulement attristés de devoir quitter le giron familial. D'ailleurs, sa mère, suspicieuse, l'attrapa par le col et lui fit clairement comprendre que s'il préparait un mauvais coup, le diable l'entrainera en enfer, et avant cela, il aurait affaire à elle ! Elle était comme ça : incapable de se dire que son petit dernier pouvait sourire juste parce qu'il était content. Non, il avait le diable au corps ce petit, obligé !

Seulement, rien ne se déroula comme Hugues l'avait prévu. Déjà, il reçut sa première leçon de vie en société : l'aspect est primordial. Avec ses vêtements élimés, il ne passait pas le premier test, et ses camarades ne tardèrent pas à le surnommer "le manant". Mais, à la rigueur, avec le temps, Hugues aurait pu passer outre, s'il avait aimé le sport, s'il ne craignait pas de se battre ou tout autre action physique qui impose, dans tous les sens du terme, le respect. Hélas, Hugues aimait apprendre, plus encore, il avait une soif insatiable de nouvelles connaissances et surtout découvrir la géographie. Il se prenait à rêver, en pleine classe à ces endroits où sa famille ne serait pas, à ces montagnes où tel un ermite, il sillonnerait les cimes. Il était devenu rapidement incollable sur les montagnes du monde entier, il avait même découvert à la bibliothèque le saint des saints, le livre, celui que même dans ses rêves les plus fous il n'aurait pu imaginer : le guide routier de toutes les montagnes à travers la planète.

Mais, comme il a été dit plutôt, un tel comportement, aux yeux de ses camarades de classe, faisait de lui au mieux un type bizarre au pire, un taré. Pourtant, Hugues aurait aimé partager sa passion avec eux, mais comment pouvait on préférer les montagnes aux les jeux vidéos, au sport ? Les autres ne le comprenaient pas, et comme toujours dans ce cas avec les enfants, même si cela arrive aussi très souvent avec les adultes, il était classé "anormal" aux yeux de tous. Au fil des ans, Hugues tenta même de taire cette passion, toujours dans sa recherche de se faire des amis, mais cela n'eût que peu d'effet. Il pouvait faire semblant de ne plus être obnubilé par les montagnes, mais comment cacher ses vêtements portés par quasiment tous ses frères et soeurs ?

Les gens, enfants comme adultes, ont souvent comme un sixième sens. Un sens qui permets, inconsciemment, de détecter celui qui pourrait être comme un poids si on s'en approchait. Hugues semblait porter une grosse pancarte au dessus de la tête, un panneau qui dirait "Je veux être votre ami, aimez moi, permettez moi de vous aimer, et ce, même si je vous étouffe de mon trop plein d'amour". Et le sixième traduit par un "Mon espace vital risque d'être étouffé par cet être, vite, ignorons le, mieux, faisons comme s'il n'existait pas. Et s'il y a échec alors nous nous moquerons"

Tous les élèves de l'école d'Hugues devaient avoir ce sixième sens. Les filles, bien évidemment, l'ignoraient, dans le meilleur des cas, sinon elles pouffaient en groupe (elles pouffent toujours en groupe), ce petit son, de premier abord anodin mais qui avait le don de meurtrir. Elles le montraient du doigt et encourageant les garçons, les vrais, les normaux, de ceux qui font du sport et tout, à embêter le "manant".

Hugues était l'élève de trop dans cette école, de toute façon, ils ne comprenaient pas. Des enfants déjà que trop formatés dans ce qui doit être et ne doit pas être. Comment auraient ils pu appréhender, dans leur esprit étriqué, un enfant qui ne se sentait pas à sa place, et ce nul part ? C'est ainsi qu'à l'âge de 16 ans, il décida de tout laisser tomber, adieu famille adieu école, la vie l'attends, il trouverait bien des personnes qui l'apprécieraient. Il partit sur la route, son sac à dos à moitié rempli d'habits, mais surtout son guide routier, qu'il avait pu s'acheter à volant de l'argent à son père, cela lui fera une pute en moins et puis c'est tout ! Hugues n'était pas vraiment un voleur, mais pour avoir ce livre qui le faisait rêver depuis si longtemps, il avait dû employer les grands moyens.

Les années passèrent mais les montagnes étaient toujours aussi éloignées. Hugues avait dû très vite se rendre compte qu'il n'arriverait jamais à ses montagnes le ventre vide et avec des vêtements de plus en plus troués. Il prit donc sur lui de reporter, légèrement évidemment, son projet, vacant de petits boulots en petits boulots. Hugues n'était pas un jeune physique, mais il avait du coeur à l'ouvrage, et n'hésitait jamais à toujours vouloir dépasser ses limites. Ses différents patrons s'en étaient bien rendus compte, et comme tout boss désirant économiser autant que possible, ils n'hésitaient jamais à exploiter cet employé zélé. Hugues s'en moquait, si tant est qu'il s'en rendait compte. A ses yeux, si on lui donnait autant de travail, c'était qu'on appréciait son labeur, voir, peut être, qu'on l'appréciait lui.

Que cela soit auprès des rares connaissances qu'il pouvait avoir, ne parlons pas d'amis cela serait exagéré, ou bien à son travail, Hugues n'osait jamais demander quoique ce soit. Ou, quand il le faisait, il se sentait mal à l'aise. Consciemment ou inconsciemment, il sentait qu'il dérangeait, qu'il n'était pas à sa place, qu'il était de trop. Il aurait bien invité cette petite blonde, rencontrée au marché, à boire un verre, mais elle lui aurait certainement ri au nez. Il aurait bien voulu parler de sa passion avec son collègue de travail mais il l'aurait sûrement pris pour un dingue. Alors il se contentait d'être une oreille attentive, les rares personnes qui le côtoyaient trouvant une personne prête à les écouter sans avoir, en retour, à faire de même. Un psy gratuit et qui même pas posait des questions dérangeantes. Évidemment, il était hors de question de l'inviter où que ce soit, après tout, conviait-on son psy à une soirée ?

Hugues ne se plaignait pas, qui l'aurait écouté de toute façon ? Il gardait dans son coeur son rêve de montagne. Depuis son tout premier travail, il avait économisé sou après sou, de toute façon, vu qu'il ne sortait jamais, cela n'était pas bien difficile. Ainsi, 20 ans après avoir commencé à mettre de côté son premier sou, il pût se permettre de tout abandonné, enfin, laisser derrière lui les quatre murs qui lui servaient de maison. Il prit son billet d'avion et partit, sans aucun regret vers ce qui le réconfortait depuis toujours.

Il savait tout des montagnes, son guide lui avait tout appris, sans parler de tous ces livres qu'il avait pu dévorer depuis des années. Il ne se ferait pas avoir comme tous ces touristes ! Il avait beau n'avoir jamais vu la montagne, il se sentait l'âme d'un montagnard, et était persuadé que ces sommets lui rendraient tout son affection. Il loua rapidement un chalet, le plus éloigné possible de tous, comme un vrai montagnard bravant seul la neige et le froid, son guide lui avait donné toutes les informations, alors il ne pouvait pas se tromper. Hugues coûta, enfin, à la quiétude, la vraie, de celle qui apaise le coeur et endort l'esprit. Il était à la montagne !

Après s'être habillé chaudement, il décida d'aller à la rencontre des sommets. Il aurait bien voulu le faire à pied, comme un vrai montagnard, mais Hugues était réaliste, sa condition physique ne le lui permettrait pas, et il était hors de question de demander aux habitants : ils l'aurait très certainement dénigré. Alors, la mort dans l'âme, il se décida à prendre une nacelle, comme un vulgaire étranger à la montagne. S'il n'avait pas été d'un naturel calme, il aurait trépigné sur place dans la file d'attente pour obtenir son billet, c'est qu'il y avait beaucoup de monde aujourd'hui. Mais peu importe, cela en valait le coup, la montagne l'appelait, Hugues le sentait au plus profond de son coeur.

Il monta en dernier dans la nacelle, et celle ci, lentement, mais sûrement, l'approchait des sommets. Etait ce normal que l'engin tangue autant ? Les gens commencèrent à murmurer, des cris aigüs s'échappèrent quand des grinçants inquiétants se firent entendre. Puis un grand silence. La nacelle n'avait plus. Les occupants n'osaient plus bouger ou prononcer le moindre son. La chute arriva d'un coup, les hurlements déchirèrent l'air. Hugues eût plusieurs centaines de mètres pour se dire que même le sommet n'avait pas voulu de lui mais qu'au moins, il allait mourir dans le plus bel endroit au monde.

Le rapport d'enquête révèlera que la faute de cet accident regrettable incombait à la négligence de l'employé préposé à faire monter les gens dans la nacelle. Selon ce même rapport, la nacelle était très ancienne, devait passer au contrôle à la fin de l'hiver et ne pouvait pas dépasser un nombre bien précis de personnes / kilos. Compte tenu de l'ancienneté, les organisateurs locaux avaient décidé de réduire le nombre de passagers, et leur employé n'avait pas pris complètement ces données en compte. S'il y avait pu y avoir ne serait ce qu'une personne en moins, la nacelle aurait pu arriver à bon port, peut être pas repartir mais l'accident aurait pu être évité. Hugues, une fois de plus, avait été la personne en trop.
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