dimanche 1 mars 2009

Partir en paix

Pour ce mois ci, une histoire qui me semble pas mal différente de ce que j'ai pu écrire jusqu'ici. Je ne suis pas sûre de maitriser ce type de nouvelle, mais il fallait bien que je m'y essaie, et surtout, c'est en écrivant différents type d'histoire que j'arriverai à trouver le mien.

Quelque chose me gêne dans ce texte, mais je n'arrive pas à saisir ce que c'est. Peut être pourrez vous m'aiguiller.

Bonne lecture à vous et au mois prochain.

Il y a des réveils où l'on se sent comme étranger à son propre corps. L'impossibilité de savoir où l'on est. Ces réveils sont bien souvent destabilisants et il est nécessaire de se poser quelques secondes afin de tout remettre en place.

Son nom est Hugues, ok, ça c'est bon, il maitrise. Visiblement, il est allongé dans un lit, une femme dort à ses côtés. Jusqu'ici, pas de problème, il est chez lui, son épouse est profondément endormie, rien de bien extraordinaire. Par contre, il n'a aucun souvenir de s'être couché, et encore moins de ce qu'il a bien pu faire avant d'être ici. Il n'a même pas mal à la tête, comme après une cuite, rien, juste cette absence d'un souvenir proche.

L'homme se lève lentement, il est nu, comme à son habitude la nuit. Il va jusqu'au balcon, la fenêtre est ouverte en cette nuit de fin d'été. Il inspire profondément, mécaniquement, pensant que cela l'aidera à remettre tout en place dans sa mémoire.

Il s'appelle donc Hugues, il a 37 ans. Son épouse, Laura, de 2 ans sa cadette, travaille avec lui dans une librairie dont ils sont les propriétaires. Ils se sont mariés en 1992, une union basée sur un amour très profond. Il se souvient même de ses propres voeux lors de leur mariage où il basait leur amour non pas sur son propre bonheur, à lui, mais dans sa quête de toujours faire que l'amour de sa vie soit heureuse. Il avait décrit sa conviction que l'amour ne devait pas être un sentiment égoïste, aimer pour être aimé, mais bien au contraire, quelque chose de totalement altruiste, s'oubliant au bénéfice de l'élue de son coeur : aimer pour aimer.

10 ans après ces paroles, il a gardé cette notion de l'amour. Cela avait été cause de raillerie, on disait de lui qu'il était totalement effacé derrière son épouse, lui accordant tout ce qu'elle désirait sans jamais penser à lui. Mais ils se trompaient, ces ignorants. Son bonheur à lui, c'était de la rendre heureuse, elle. Et puis, ils ne seraient pas tomber amoureux l'un de l'autre s'ils n'avaient pas eu des points communs, des passions communes, la librairie en était la preuve : tout comme elle, il adorait les livres.

L'aube se lève, et avec elle, Laura. Elle a toujours aimé se lever aux aurores. Hugues la regarde se mettre en branle, déjà le côté de son lit est fait. Elle ne le regarde pas, voir même elle l'ignore superbement. Qu'est ce que chose ne va pas mais il est incapable de savoir quoi. Il le lui demande mais il n'a, pour toute réponse, que le départ de son épouse de la pièce.

Il la suit jusqu'à la cuisine et l'observe préparant un café, il tente de lui parler, comme dans la chambre, elle fait comme s'il n'était pas là. Laura s'installe à la table, le breuvage amer devant elle, prenant le journal pour y lire les nouvelles du jour.

Il tente de plaisanter sur les difficultés qu'elle peut avoir, au réveil, de discuter, comme une ourse qui sortirait tout juste de son hibernation. Un bide total, même pas un sourcil relevé. Alors il passe dans le dos de Laura pour poser ses mains sur ses épaules, elle a toujours aimé qu'il les lui masse.

Hugues ne pourrait dire ce qui, alors, le surprends le plus en ce moment présent : la date sur le journal ou bien ses mains passant au travers du corps de Laura, laissant comme une trainée de vapeur dont elle ne semble pas avoir conscience. Le journal certifie, de son obstination muette, que la date est 2009 pourtant, le dernier souvenir d'Hugues remonte à 2002 et sa dernière déclaration d'impôt. Ce n'est pas spécialement un souvenir heureux, les impôts ne le sont jamais, mais cela lui permet de mettre une datation sur cette bribe que lui fournit sa mémoire.

Laura se relève, pose la tasse dans l'évier et sort de la pièce, sûrement pour se doucher. Tandis que son mari reste planté, là, à regarder ses mains revenues à la normale. Il tente d'attraper le journal, mais le phénomène recommence, comme avec les épaules de Laura. Se disant que de toute façon, au point où il en est, autant pousser l'expérience jusqu'au bout : il s'avance vers la table, pensant, espérant ardemment, finir par se cogner dessus. Mais il la traverse, toute la partie inférieure de son corps part à son tour en fumée pour se reconstituer quand il arrive de l'autre côté de la pièce.

On dit que quelqu'un qui se sait proche de la mort peut passer par 5 phases : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation, qu'il n'est pas obligé qu'elles soient dans cet ordre, ni même de passer par toutes ces phases, mais au moins deux d'entre elles seront vécues par le mourant. Mais qu'en est il des morts qui constatent qu'ils sont, justement, morts ?

Hugues a toujours été un homme pragmatique, sur la vie en général. Le déni ne peut être possible, il a bien vu ses mains, son corps, s'évaporer. En fait, l'acceptation arrive de suite suivi par la colère. Non pas d'être mort, non, mais de ne plus être, physiquement auprès de son épouse.

Il est donc mort depuis 7 ans. En allant de pièce en pièce de la maison, il ne peut que constater les changements, des photos de leur couple un peu plus nombreuses, ainsi que celle d'un homme qu'il ne connait pas. Certains meubles ont changé. En regardant de plus près Laura, assise sur le canapé, il peut constater qu'elle aussi a changé, des rides d'expressions sur son visage. Celui ci marque une tristesse, profonde, mais, paradoxalement, Hugues est aussi persuadé d'y voir une certaine sérénité. Elle a dû passer la phase de l'acceptation dans son deuil.

Même s'il sait que c'est inutile, il lui parle doucement, comme dans un murmure. Il lui parle de son amour pour elle, de sa volonté, toujours aussi vive, de la voir, et la savoir heureuse. Hugues écarquille les yeux quand Laura réponds "Je sais", l'avait-elle entendu ? Il passe rapidement en revue tout ce qu'il veut lui dire, il y a tellement de choses. Jusqu'à ce qu'il se rende compte que ce n'est pas à lui qu'elle parlait, une tierce personne est dans la pièce, il ne l'avait pas entendu arriver, tout occupé qu'il était à constater sa mort.

Sa belle soeur est assise en face de Laura. S'il en croit leur discussion, elles parlent de lui et d'un certain "Fabio". A mesure que la discussion avance, il se remémore ce qui s'est passé. Quand elles parlent de sa mort, il se revoit s'écroulant après avoir amené des cartons de livres pour la livraison, foudroyé par une crise cardiaque.

Laura plaisante, rit doucement, il avait toujours adoré l'entendre rire. Elle parle de son coeur qui a laché, qu'elle aurait dû s'y attendre, on ne peut aimer autant, humainement parlant, sans que le coeur s'arrête de fonctionner, épuiser par tant d'amour à donner. Sa voix se brise, légèrement quand elle termine sa plaisanterie, terminant par dire qu'elle avait vraiment aimé son mari, qu'il lui arrivait, encore, de se réveiller en pleurant. Oui, son deuil était bien terminé, mais elle est persuadée qu'il continuerait toujours à lui manquer, comme une partie d'elle même qui est morte en même temps que lui.

Elle avait mis beaucoup de temps à se remettre de sa mort, mais oui, maintenant, c'est terminé, elle chérirait son souvenir en elle, mais elle doit vivre à nouveau, et Fabio est tellement adorable. Il avait preuve de patience avec elle, il avait accepté son deuil, il savait qu'il ne serait jamais le seul homme qu'elle aimerait, que son mari serait toujours là, quelque part dans son coeur. Il avait rallumé une à une chacune des flammèches dans le coeur de Laura, jusqu'à ce qu'elle se sente réchauffée intérieurement. Et avant hier, il lui a fait sa demande en mariage à laquelle elle n'avait pas encore répondu. Elle avait été incapable de le faire sur le moment même, et depuis, la question tournait et retournait dans son esprit.

Hugues ne peut nier un pincement dans son coeur. Enfin, techniquement, il n'est plus capable de ressentir cela, mais l'idée est là. Il chasse rapidement ce sentiment égoïste, après tout, il est mort. Comment peut il désirer autre chose que son bonheur ? Passer cet instant qui ne lui ressemble pas, il se concentre à nouveau sur la conversation. Sa belle soeur pose la question la plus importante aux yeux d'Hugues : est ce que Fabio l'a rend heureuse ?

Laura regarde sa soeur un long moment, comme plongée dans une profonde réflexion. Puis, d'une voix calme, posée, elle répond par l'affirmative. Bien sûr, Fabio ne serait jamais Hugues, c'était impossible. Il n'était pas aussi attentionné que son mari, mais elle est persuadée qu'il l'aime. Elle hésite un court instant avant de poursuivre, puis, avec ce sourire qui avait toujours fait fondre Hugues, elle dit qu'elle aussi l'aime. Qu'elle a énormément de chance d'avoir rencontré deux hommes dans sa vie qu'elle peut aimer aussi fort, dans un sentiment réciproque. Alors, oui, elle est heureuse maintenant et oui, il lui est inutile de réfléchir plus longtemps, elle va accepter la demande en mariage.

Sa soeur se lève d'un bond, tapant dans ses mains, poussant ce petit cri typiquement féminin qui semble être l'expression d'une joie mais qui est bien souvent source d'énervement pour les personnes alentour et non concernées. Elle serre très fort Laura dans ses bras et l'invite à sortir, qu'importe où, il faut fêter ça.

Elle entraine sa soeur hors de la pièce. La pièce est vide désormais. Pas même un esprit, fantôme, qu'importe le mot adéquat. Hugues avait disparu, il n'avait plus rien à faire ici, il l'avait compris dès que sa femme avait répondu par l'affirmative. Elle est heureuse maintenant, il peut donc partir en paix.
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