samedi 1 novembre 2008

J'aurais pu l'aimer

Que je vous parle de moi depuis le tout début ? Bien entendu que c'est possible, cela risque d'être juste d'être un peu difficile, certains passages de ma vie ne font pas partis de ceux dont j'aime à me rappeler. Mais soit, je suis ici devant vous dans ce but de toute façon.

Puisqu'il faut que je détaille depuis le commencement, je reviendrai donc sur ce que vous connaissez déjà, la genèse de ma vie.

Je suis donc née il y a 25 ans dans la ville portuaire de Refuge. Ma mère était la troisième d'une famille de 6 enfants. Elle était alors âgée de 18 ans et n'avait pas de profession et aucun bagage scolaire. Sa propre mère était une femme au foyer, menant d'une main dure toute la fratrie. Quant à son époux, et comme la plus part des hommes de Refuge, il travaillait sur le port. D'après ce que je sais, ma mère n'a jamais été très à l'aise avec sa famille, son caractère, et peut être aussi celui du reste de sa fratrie, ne l'y aidant pas. Alors, quand elle annonça aux siens sa grossesse, l'absence du père reparti dans sa région natale depuis quelques semaines et ignorant ce qu'il avait laissé derrière lui, la nouvelle ne fût accueillie que très froidement.

Malgré le désaccord manifeste dû à son nouvel état, elle pût tout de même rester dans le giron familial, du moins jusqu'à ma naissance et les premiers mois qui la suivirent. Mais les reproches, non dits et autres petites piques eurent raison de sa patience. Mais il ne faut pas oublier non plus son désir d'indépendance propre à tous les jeunes adultes. Je n'ai que peu de détails sur les premiers mois de ma vie, ni ne sait à quel moment précis ma mère prit ses distances avec les siens. Vous m'excuserez donc de devoir rester vague sur cette partie, de toute façon, je doute que cela puisse avoir la moindre importance pour l'affaire qui nous concerne, disons juste que cela me permet de planter le décor comme on dit.

Les premiers souvenirs de ma vie remontent à ma troisième ou quatrième année. Nous vivions dans un studio je crois, du moins dans ma mémoire il n'y avait qu'une pièce, comme une grande chambre, un lit deux places d'un côté et mon petit lit de l'autre. Un homme vivait avec ma mère, il aura son rôle un peu plus tard, au dessus de chez nous vivait une vieille dame. J'ignore pourquoi cette femme est toujours restée à ma souvenance, je ne pense pas avoir eu le moindre contact avec elle, si ce n'est la croiser dans les escaliers de l'immeuble. Je m'en suis toujours rappelée comme d'une personne gentille pourtant ma mère ne semblait pas partager ce point de vue.
Pour répondre à l'une de vos premières questions, oui, ma mère avait commencé à lever la main sur moi à cette époque. Elle s'était un jour approchée de moi, agrippant ma tête par l'arrière et la cognant violemment contre le mur, laissant une cicatrice visible encore aujourd'hui. J'ignore si elle a toujours retenu ses coups, ou bien si j'ai simplement eu de la chance, toujours est-il que je n'ai jamais eu de séquelle grave. A ma grande honte aujourd'hui, je dois bien avouer que j'étais une enfant que l'on qualifierait de sale. Non pas que je souillais mes vêtements, non, mais il m'arrivait de ramasser les chewing-gums par terre, de boire ce que contenait le pot de chambre. Peut être cela explique-t-il la violence et la colère qu'usait ma mère à mon encontre, ou bien peut être avais je déjà une déficience. Les psys donneront eux même leur propre dénomination, je n'ai jamais été très versée dans ces choses là. Quoiqu'il en soit, aujourd'hui, je dirais qu'elle se retenait malgré tout, peut être était ce dû à la présence de son compagnon.

Je considérais l'homme qui vivait avec nous comme mon père, et lorsque nous avons déménagé et qu'un petit frère est venu agrandir le cercle familial, j'étais vraiment ravie, l'un des rares moments de mon enfance où je me sentais bien. Je ne saurais dire ce que j'ai ressenti quand ma mère est rentrée avec ce petit bonhomme dans les bras, qu'elle l'a mis entre les miens. J'avais alors un peu plus de 5 ans mais ce petit bonhomme, je l'aimais profondément, dès l'instant où je l'ai vu, je n'arrêtais pas de l'embrasser. J'avais encore un minimum d'innocence pour croire que dorénavant, tout irait pour le mieux, mais ce fût de courte durée.

Cela a commencé à dégénérer totalement quand ma mère m'appris que l'homme qui vivait avec nous n'était pas mon père et que je devais l'appeler par son prénom. En enfant obéissante que j'étais encore, je m'exécutai, ce qui me valu certainement la plus belle gifle de ma vie. Quand je dis "la plus belle" ce n'est pas parce qu'elle fût douloureuse, non, mais simplement parce qu'avec le recul, cet homme n'acceptait pas que je ne l'appelle plus "papa". Je n'étais pas de son sang, et pourtant par ce geste, il me reconnaissait comme tel. J'ignore les raisons de leur séparation, ou bien je ne le sais que trop : personne, sain d'esprit, ne pouvait vouloir vivre avec cette femme ...

Je n'ai pas le souvenir d'avoir été battue devant la présence d'autrui, pas même celle de mon frère même si celui ci devait entendre mes cris, peut être aussi les voisins, mais on ne s'occupe pas de ce qui se passe chez les autres, non monsieur, et puis, après tout, j'étais une enfant turbulente ...

Une enfant que l'on interdisait de bouger pendant l'absence maternelle, restée seule dans l'appartement, et qui obéissait, assise immobile dans sa chambre. A son retour, sa génitrice tentait le bluff, lui certifiant que la chair de sa chair avait bougé, qu'elle le "sentait", le déni entrainant automatiquement une volée de baffes. Cette même enfant qui était terrorisée à chaque repas, les "pires" moments de la journée, car invariablement, elle ne mangeait pas assez vite, faisait trop de bruit en mangeant, et, dans l'apothéose du stress n'avait pas le temps d'aller aux toilettes pour vomir et vidait le peu que contenait son estomac sur la table, dans son assiette. Une enfant qui voyait alors se déchainer sur elle la fureur maternelle, se retrouvant parfois littéralement encastrée entre le mur et la table, obligée même, parfois voire souvent, à ré ingurgiter ce que son estomac avait rejeté, du piment ajouté à la ... mixture. Une enfant qui tremblait comme une feuille à la fin de quasiment tous les repas, car la colère de celle qui l'avait mise au monde n'était pas retombée, et que pour se faire, il allait falloir le bois du martinet ou la boucle d'une bonne grosse ceinture. J'ai hurlé tellement de fois, j'ai imploré tant de fois sa pitié, que je me demande encore comment j'ai pu continuer à parler par la suite. Une enfant qui se promit, un soir qu'elle se calfeutrait sous ses draps, cherchant à oublier la douleur qui inondait son corps, qu'une fois adulte, elle tuerait sa mère.

Après s'être débarrassé du père de son fils, je fus retirée de sa garde 6 mois après la naissance, pour être placée en famille d'accueil. Je ne m'étalerai pas sur cette famille où je vécus pendant 5 ans ... 5 longues années où l'on me fit bien sentir que je n'étais pas chez moi, que prendre un biscuit dans un placard était considéré comme un vol, où leur fille était tout et moi je n'étais rien. Mais la lumière dans tout cela était l'école ... seul lieu où je pouvais rencontrer des enfants "normaux" qui avaient une vraie famille, qui me montraient que tous n'étaient pas comme ma propre vie. Naïvement, je pensais aussi qu'avoir de bons résultats scolaires me permettrait de voir un peu de fierté dans les yeux de ma génitrice, parce que oui, messieurs dames, à cette époque, j'espérais encore avoir de l'amour de sa part. Je rentrais chez elle tous les week-ends, et si seulement une fois, rien qu'une fois, elle m'avait montré cette fierté que j'attendais tant, je crois que j'aurais pu l'aimer. Mais cela ne vint jamais, je continuais à être méprisée par elle, ma présence était un fardeau. Je rentrais régulièrement de ces week-ends couverte de bleues, mais ma famille d'accueil n'y prêtait pas attention, et je continuais à réclamer ces week-ends, malgré la peur qu'ils m'inspiraient, cherchant toujours ce petit éclat dans le regard, mais rien n'y fit. Mon petit frère devait toujours être celui qui allait chercher l'outil qui me provoquera des douleurs ... Dieu que j'aurais pu le haïr ... lui qui n'a jamais reçu plus d'une gifle, lui qui avait tout l'amour que je n'avais jamais eu ... Et pourtant, je l'ai toujours adoré. Je crois qu'il était comme l'innocent que l'on ne devait pas toucher, le seul dans mon entourage qui ne m'était pas inamical. Je regrette vraiment de ne pas l'avoir mieux connu ... peut être, alors, certaines choses auraient été différentes ...
Quoiqu'il en soit, et comme je le disais, je ne restais que quelques années dans cette famille. La justice décida, enfin, de m'en retirer quand après l'un de mes week-ends "en famille", je rentrai le visage couvert de bleus. Tant que c'était sur le reste de mon corps, l'école ne s'apercevait de rien, mais là, on ne pouvait plus nier l'évidence, et encore moins après avoir répondu à la question "qui t'a fait ça ?" "C'est ma mère". Des enfants de ma classe en parlèrent à leurs parents qui eux même portèrent plainte. J'ai appris, plus tard, que ma famille d'accueil ne put plus jamais accueillir de nouveau un enfant, il leur avait été reproché de n'avoir pas su me protéger. Un peu tard pour moi, mais une très bonne décision pour tout enfant qui aurait pu être chez eux.

Je fus placée, jusqu'à ma majorité, en foyer. Je ne vis que très peu ma mère pendant cette période, jamais pendant les deux premières années, puis une fois par mois ensuite. Encore une fois, c'est moi qui avais demandé à la revoir. J'y croyais encore, semble-t-il. Pendant mes passages chez elle, je ne recevais plus le moindre coup, cela lui était impossible : si jamais j'étais rentrée avec le moindre bleu, et ayant été placée par décision judiciaire, elle aurait eu des ennuis. Il faut bien lui reconnaitre cela, cette femme avait un minimum d'intelligence, elle savait quand il fallait s'arrêter pour ne pas aller à l'encontre de ses intérêts. Elle choisit alors une autre forme de maltraitance, plus insidieuse : les mots. Dès que cela lui était possible, elle me lançait des piques, me rabaissait. Elle me dit un jour, par exemple, que même si je me droguais, je ne pourrais pas plus la décevoir. Je n'avais pas 13 ans ...

Mais en dehors de ces week-ends mensuels, je n'avais pas trop à me plaindre de ma vie. Bien sûr, j'étais toujours insignifiante au milieu de tous ces autres enfants. Les adultes qui nous entouraient faisaient bien de leur mieux mais notre mal était bien trop profond, et surtout, l'adulte était souvent vu comme l'ennemi, celui contre qui on pouvait, enfin, exprimer toute notre colère, notre rancune. Nous voulions juste exister. Nous voulions être reconnus, aimés ... mais il n'y a pas de temps pour ce type de sentiment dans ce genre d'institution. Leur priorité était notre sécurité physique, quant à celui de notre cœur, ma foi, cela devait attendre. Un adulte pour 12 enfants, comment pourrait il nous donner tout l'amour dont nous avions cruellement besoin ? Comment pouvait il ne serait ce que nous serrer dans ses bras pour nous montrer que nous étions capable d'être aimés alors qu'il devait s'assurer que tout le monde a bien fait ses devoirs, s'est bien lavé, ne tape pas son camarade de chambre. Mais bordel, si seulement une fois, rien qu'une fois, une malheureuse petite fois, nous avions pu avoir cette marque d'amour ... juste une toute petite fois ...

Mais là encore, ce n'est jamais arrivé ... Et encore une fois, ce fût l'école qui m'empêcha de sombrer. Non pas avec les résultats scolaires, non, ça, j'en avais fait mon deuil, je savais que cela ne résoudrait rien, alors sur ce plan là, j'ai progressivement laissé tomber. Non, ce fût de voir des jeunes de mon âge heureux dans leur famille, voire même des familles qui acceptaient que je leur rende visite. Hélas, je dois bien avouer que c'était à double tranchant. Je recevais quelques miettes d'affections, mais elles avaient un goût très amer de pitié. Malgré tout, je m'en contentais, je ne pouvais espérer mieux de toute façon.

Quant à ma vie dans les différents foyers que j'ai pu faire, que du banal dans ce genre d'endroit, une enfant, devenue adolescente, puis jeune adulte toujours en rébellion, n'hésitant pas à frapper si quelqu'un s'approchait trop, comprenant peu à peu que quoiqu'elle fasse, elle serait toujours ce truc que l'on voit par dépit, dégoût, pitié, alors elle prit le chemin d'être ce qu'on appelle communément une grande gueule, comme un chien qui aboie fort par peur que l'on remarque ses faiblesses, voire sa peur.

C'est ainsi qu'à ma majorité je quittais la protection toute relative des foyers, sans diplôme en poche, vivotant entre deux petits boulots. Je n'ai jamais vraiment eu d'amis, je n'ai aucune confiance en qui que ce soit, pas même en moi. Je vivais sans en profiter, comme j'avais pu l'apprendre, simplement en m'assurant d'être en sécurité physique, un toit au dessus de ma tête, un minimum pour manger. Je ne ressentais pas grand chose, enfin si, au moins une chose : l'affection que j'éprouvais pour mon frère. Mon petit frère, l'innocent, l'être pur, le témoin silencieux de ma vie. Je ne le voyais quasiment pas, mais je savais qu'il était là, quelque part. Il était ma bouée de sauvetage, celui qui me permettait de croire en quelque chose de bon. Et puisque lui aimait sa mère, qu'il avait grandi auprès d'elle comme tout fils, j'avais rejeté l'idée d'intenter un procès contre elle. Je ne savais même pas si c'était vraiment possible, n'y connaissant rien en justice, mais j'aimais caresser l'idée que cela pouvait être une alternative ... à quoi ? ... j'en sais rien en fait, c'était là, c'est tout. Mais cela aurait nui à mon petit innocent de frère, je ne pouvais pas lui faire ça.

Mais même cela, elle me l'a pris ... Ils rentraient d'une soirée familiale, elle avait trop bu, sans aucun doute, et ne vit pas arriver une voiture qui lui grilla la priorité. Elle réussit à s'en tirer avec quelques fractures, mais pas mon petit frère, non, lui fût tué sur le coup. Elle m'a pris mon petit frère ... mon innocent ... Je n'avais plus rien, plus personne à qui me raccrocher, juste moi même et ma mémoire ... et ma colère ...

Je peux vous affirmer que l'adage "ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort" est sûrement l'une des plus grosses conneries, hum ... veuillez pardonner mon langage ... l'un des plus gros mensonges, donc, qu'il m'ait été donné d'entendre. Il y a pire que la mort : la mémoire. La douleur n'est pas physique, pas sur le moment du moins, mais elle est là, toujours présente, comme une réminiscence d'un mal passé. Rien ne peut la retirer car elle est au plus profond de notre mémoire, comme des aiguilles internes qui se plaisent à trouer la peau de l'intérieur. Personne ne peut vous retirer cette douleur. Bien sûr on essaie, on consulte et pendant des heures on ré évoque cette douleur comme pour l'exsuder mais peut-on enlever le souvenir ? Évidemment, dans le meilleur des cas, on peut tenter de l'accepter, de vivre avec mais peut on la faire disparaitre pour autant ?

Je ne pense pas, vraiment pas. La seule libération, le seul soulagement est de ne plus se remémorer le passé. Mais comment faire à part se donner la mort ? Je n'avais su faire preuve de courage, et j'ai toujours eu malgré tout un instinct de préservation, j'ai donc été incapable de me soulager ainsi. La seule solution qu'il me restait était qu'on le fasse pour moi, mais pas n'importe comment, et surtout, je devais la revoir, elle, une dernière fois.

Vous m'avez demandé si je reconnaissais les faits, oui, messieurs dames, je les reconnais. Je reconnais y être allée, je reconnais tous les faits. Car aussi vrai que vous allez me condamner à mort, messieurs dames; je reconnais, non sans un profond soulagement, un certain plaisir du travail enfin achevé, j'ai tué ma mère.

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